Après le ferry aux odeurs de rouille et de peinture
après la descente dans le petit matin éblouissant
après la traversée du village encore engourdi
me voilà dans la campagne brune et moutonneuse
poussant la bagnole dans le silence bleu
fenêtres grandes ouvertes aux insectes perdus
avec la crainte enfantine de voir un oiseau pénétrer
dans l’habitacle et fouetter le plafond de ses ailes
Le moteur frémit la route est déserte abandonnée
aux parfums des herbes sauvages
Des chênes-lièges écorchés semblent se lever dans la lumière
j’ai à peine le temps de les voir qu’ils ont disparu
et ce sont des rochers rouges et ce sont des terres cramées
jusqu’à l’os et ce sont des brebis immaculées
qui me regardent passer
Je rejoins l’origine du monde je roule vers le chaos
tranquille et apaisé
je fonce vers le désordre du paysage et l’ordre de l’esprit
et tandis que je me gave de phraséologie
survient une théorie de maisons colorées sur la crête
d’une colline si haute qu’elle ressemble à une montagne
Si je le pouvais je roulerais en aveugle
sans plus penser à quoi que ce soit
bercé par le ronron du moteur et cette sorte de sommeil
qui s’empare de nous dès qu’on ferme les paupières.