mercredi 3 novembre 2010

L'incendie

Torse nu, il courait à fond de ses courtes foulées, poussant avec force sur ses hanches, au point d’avoir mal. Sa salive était acide dans sa gorge à cru, le chemin de terre dur sous ses pieds. Il avait envie de hurler mais seul un sanglot métallique s’échappa d’entre ses lèvres fendues. Malgré le vibrement de la grande chaleur dans son dos, la sueur était glacée sur son front et il la sentait se figer et sécher aussitôt.
 
“Han-han-han-han-han-han...”
 
Les herbes jaune pâle et couchées du bas côté lui faisaient une ligne à suivre dans la nuit immense. Le silence étalait sa nappe à l’entour, et une vague odeur de caoutchouc subsistait dans ses narines, ainsi que la fine odeur de la poussière des cendres chaudes.
 
Le sentier se mit soudain à monter ; il marqua un ralentissement de son allure, juste le temps nécessaire pour s’incliner un peu et redoubler ses efforts. Sa respiration se fit plus rapide à mesure qu’il gravissait le sentier dont la dureté endolorissait ses orteils ensanglantés. Il n’y voyait pas à un mètre. La lune était une forme indécise derrière les nuages. Une foulée lui fit défaut. D’un coup de reins brutal, il parvint à conserver son équilibre. Un râle échappa à sa gorge. Et il reprit sa course.
 
“Haaannn-haaannn-haaannn-haaannn !...”
 
La côte ne devait pas être très longue mais comme il n’en voyait pas le bout, il imagina tout à coup qu’elle ne s’arrêterait jamais, qu’il serait obligé de monter, nuit après nuit, sous un ciel aveugle. Il essaya de tourner la tête pour regarder dans son dos. Il ne réussit qu’à se tordre le cou sans rien voir de plus qu’un bout d’obscurité vaguement orange et crépitant.
 
Soudain, le sol redevint horizontal sous ses pieds.
Un vent frais le cueillit de plein fouet et le fit frissonner. Il claquait des dents. Il repartit de plus belle, tout en se frappant les flancs pour se réchauffer. Mais il cessa bien vite. “J’ vais pas... C’est foutu.”
Jusque-là, il n’avait rien pensé, juste poussé sa foulée. Un sanglot vint mourir dans son ventre, lourd comme un oeuf dur avalé d’un trait.
 
Au loin, des rumeurs éclataient ; des voix montaient par lambeaux.
Il serra les mâchoires et tenta d’accélérer. Il grimaça. Un point de côté se mit à percer à droite ; une brève aiguille de douleur. “Ah, bordel ! Merde !” Ses pieds étaient engourdis, anesthésiés, ne ressentaient plus les pointes des cailloux ni le tranchant des petites plantes solides et hargneuses qui arrivaient à subsister sur cette terre compacte et sèche.
Les nuages s’étaient effacés un peu devant la lune.
A présent, il pouvait voir la plaine s’étendre loin devant, couverte de buissons trapus et d’une végétation courte et sombre. Dans les lointains, se dressait un mur de collines dont le dos se découpait malaisément sur le ciel dense.
 
Un sursaut d’énergie l’emporta. La vue des collines le stimulait. Ses foulées devinrent plus longues, plus souples, plus régulières ; son souffle retrouvait un rythme sans faille.
Les rumeurs et les éclats de voix s’éloignaient, se perdaient dans la nuit. Une sorte d’allégresse s’était emparée de lui. Un rire crispé grelottait dans sa gorge.
 
“Han-han-han-han-han-han-han-han...”
 
Et dans sa course, en fermant à demi les paupières, il se dit que tout cela était beau : le ciel, les cailloux coupants, les plantes en métal, la poussière, et la fatigue qui, peu à peu, l’envahissait de nouveau.

12 commentaires:

  1. tres bon !on est porté par petites foulées : ça happe et ne lâche plusencore !

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  2. Han-han-hanJ'arrive pas à suivre.Trop vif le rythme ...A.L.

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  3. Qu'il est rare de se sentir transporté bien ailleurs devant un simple écran... Pas faire de jaloux mais... Ne sachant rien de l'incendie, mais bien là cependant. (La violence - et la solution à l'énigme dans ces aciers des plantes? ce tranchant des pierres?) Superbe! Superbe!

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  4. Le long te va, je me répète mais bon, c'est bon, et en veux encore.Odeur deux fois si près c'est exprès ?Sentir le danger et chercher son origine, je retrouve ça à chaque fois à te lire, et ça tient en haleine.

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  5. @Chroniqueur rudimentaire. Court mais ça fait plaisir.@Mu LM. Y a pas trot ? :D@Anonyme (A.L) J' n'en crois rien. @Depluloin. Je voudrais qu'on "voie" mes textes, alors quand vous les "voyez", ben, ça m' plaît beaucoup.@Kouki. Le long me va bien ? Tu m'as jamais vu en mini, toi ! :DPour "odeur", oui, bien sûr.

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  6. Patrick verroustCette courte nouvelle est portée par sa forme. Les allitérations en « U » répétées à une fréquence rapide, les formules paradoxales « comme à fond de ses courtes foulées » nous font entrer dans cette course où l 'enjeu est la vie, la mort ou pire encore. La rythmique du récit nous impose de respirer par saccades comme celui qui court avec l'énergie du désespoir. On voit ses côtes inspirées et crachées l'air, comme un soufflet de forge. Les mots sont lourds à porter , chargés de souffrance.(l'oeuf dur, les plantes en métal). Nous sommes mis du côté du fuyard, (résistant , pyromane?), on ne voit que l'homme qui fuit, abruti, hébété, dans un effort surhumain pour sauver sa vie dans les collines proches avec la foi du charbonnier. Il jette ses dernières forces dans la bataille. L'abandon est proche, l'hallali se précise. Le destin vacille pendant un moment qui semble interminable. La nature(hargneuse) exprime la violence de la lutte. Il rassemble ses dernières forces, une étrange joie l'envahit lui fait oublier la souffrance. Elle est faite d'espoir mais peut être aussi d'un sentiment de devoir accompli ou de vengeance assouvie , apportés par l'odeur de l'incendie qu'il garde dans les narines ou , plus simplement du bonheur de sentir son corps obéir à sa volonté, comme dans le dernier jour d'un condamné de Victor Hugo. Un rythme plus long , maitrisé, celui d'un coureur de fond s'installe, qu'il échappe ou non semble devenir accessoire. Il a gagné la bataille avec lui même.Cette nouvelle est très visuelle,on voit l'homme, le paysage. Elle suscite des émotions, profondément enfouies, celles de la lutte pour la survie et des sentiments de solidarité qui se construisent autour. Le halètement poursuit son travail en nous., bien après avoir terminé la lecture.

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  7. ben oui on voit :-) mais c'est aussi musical... bon ils sont toujours dans des postures délicates vos personnages - pas "commode" du tout en fait.

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  8. Des sportifs, peut-être ?Même à l'agonie ...A.L.

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  9. Fuite haletante, et les mots sont parfaitement maîtrisés pour accompagner la course. Rythme, blessures, souffle, scansion, ascension, tout y est, sous la lune. Je le relis par pure gourmandise, allez.

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  10. Ah mais qu'elle est bonne cette nouvelle ! Je me suis régalé à la lire. En tant que jogueur aussi. J'adore ces “Han-han-han-han-han-han...”.Et des trouvailles telles que "lourd comme un oeuf dur avalé d’un trait"...C'est vraiment le genre de texte où la forme est au service du fond, c'est le cas de le dire !

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  11. @Patrick verroust. Ben, j' dois dire que votre commentaire me laisse sans voix. :)@k.role. Non pas "commode" du tout. En même temps, le nihilisme et moi, ça fait deux, donc...@Anonyme. Des sportifs à l'agonie ? Oui, sans doute aussi.@Sophika. Wow, par gourmandise, ça c'est gentil. Mâââârssi Çofie.@Gilles.En tant que pas-jogueur, votre avis de jogueur me plaît d'autant plus. J' suis sportif comme une chaise en béton armé. C'est dire si ça m' plaît que vous ayez "senti" ce texte. :)

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