Il s’était un peu redressé sur son siège sans se mettre debout. Un mouvement des reins et du bassin. Puis il s’était affalé de nouveau. Le soleil agitait des molécules devant ses yeux éblouis par la violence de la lumière qui déboulait en diagonale de l’immense verrière. Ses paupières clignaient.
“Bon sang, bon sang, bon sang...”
Il tourna la tête pour regarder derrière lui. Une femme était assoupie : grasse, flasque, le menton écrasé, la bouche effondrée. Et très pâle. Ses cheveux jaune terne bouclaient un peu. Une fourmi remontait le long de sa gorge. Il contint l’élan qui le poussait à se pencher sur cette inconnue endormie, à la presser sur sa poitrine.
Il détacha son regard de la femme et le fit coulisser vers des valises, des sacoches, des sacs, des sachets éparpillés au pied du mur, là-bas, dans un triangle d’ombre ; sa valise en peau de porc était là, quelque part, mêlée aux autres.
“Bon sang, bon sang, bon sang...”
Il tourna la tête pour regarder derrière lui. Une femme était assoupie : grasse, flasque, le menton écrasé, la bouche effondrée. Et très pâle. Ses cheveux jaune terne bouclaient un peu. Une fourmi remontait le long de sa gorge. Il contint l’élan qui le poussait à se pencher sur cette inconnue endormie, à la presser sur sa poitrine.
Il détacha son regard de la femme et le fit coulisser vers des valises, des sacoches, des sacs, des sachets éparpillés au pied du mur, là-bas, dans un triangle d’ombre ; sa valise en peau de porc était là, quelque part, mêlée aux autres.
“Je peux vous aider, monsieur ?”
L’homme qui venait de poser cette question était jeune, roux, et souriait de toutes ses dents plantées n’importe comment dans ses gencives épaisses. Ses yeux brûlaient.
“Vous êtes sûr que vous n’avez besoin de rien ?”
Il n’avait besoin de rien, sauf d’espace, de tranquillité. Il faillit dire au jeune homme d’aller se faire foutre mais il lui rendit un sourire forcé. Le jeune homme se figea une seconde, puis sourit aussi avant de s’éloigner à reculons.
Tout à l’heure, ce même jeune homme lui avait offert son bras pour pénétrer dans le hall et trouver une place. Il l’avait reculé d’un geste. Et le jeune homme s’était effacé sans un mot. Les sièges libres ne manquaient pas. Il n’avait besoin d’aucune aide. Aucune.
L’homme qui venait de poser cette question était jeune, roux, et souriait de toutes ses dents plantées n’importe comment dans ses gencives épaisses. Ses yeux brûlaient.
“Vous êtes sûr que vous n’avez besoin de rien ?”
Il n’avait besoin de rien, sauf d’espace, de tranquillité. Il faillit dire au jeune homme d’aller se faire foutre mais il lui rendit un sourire forcé. Le jeune homme se figea une seconde, puis sourit aussi avant de s’éloigner à reculons.
Tout à l’heure, ce même jeune homme lui avait offert son bras pour pénétrer dans le hall et trouver une place. Il l’avait reculé d’un geste. Et le jeune homme s’était effacé sans un mot. Les sièges libres ne manquaient pas. Il n’avait besoin d’aucune aide. Aucune.
“A mon âge, j’ peux m’asseoir tout seul...” Et il avait vite opté pour un siège en plastique rouge qui donnait vers l’extérieur. Un siège incommode.
Une fois installé, il avait contemplé durant des siècles le tronçon de tarmac coupé net à gauche et à droite par la verrière. Il avait plu, le tarmac luisait. Un avion décolla juste devant la verrière, et s’éleva lentement dans le ciel travaillé par les nuages. A certain moment, par l’effet d’une brusque irruption du soleil, l’avion devint une aiguille éblouissante et le tarmac une plaque d’aluminium.
Instinctivement, il avait serré les paupières et gardé en lui une ligne blanche qui se dissolvait dans du noir. Quand il les avait desserrées, l’ombre avait envahi la verrière. Le ciel était d’un gris pesant. C’est alors qu’il s’était dit le premier “Bon sang...” en regardant ses mains. Ses mains. Il détestait ses mains. Il les retourna, les examina soigneusement avec l’espoir larvé de changer d’avis. Mais non.
“Tiens... du café... “ Une grosse fille, légèrement frisée, à la peau marquée, lui tendit un gobelet plein à ras bords. “Comme tu l’aimes.”
Il porta le gobelet jusqu’à ses lèvres déjà prêtes en cul de poule. Et il but en fermant les yeux à demi. Par-dessus le bord du gobelet, il vit la fille le regarder fixement.
Alors, il avança sa main libre devant lui, et il attendit qu’elle la saisisse.
Une fois installé, il avait contemplé durant des siècles le tronçon de tarmac coupé net à gauche et à droite par la verrière. Il avait plu, le tarmac luisait. Un avion décolla juste devant la verrière, et s’éleva lentement dans le ciel travaillé par les nuages. A certain moment, par l’effet d’une brusque irruption du soleil, l’avion devint une aiguille éblouissante et le tarmac une plaque d’aluminium.
Instinctivement, il avait serré les paupières et gardé en lui une ligne blanche qui se dissolvait dans du noir. Quand il les avait desserrées, l’ombre avait envahi la verrière. Le ciel était d’un gris pesant. C’est alors qu’il s’était dit le premier “Bon sang...” en regardant ses mains. Ses mains. Il détestait ses mains. Il les retourna, les examina soigneusement avec l’espoir larvé de changer d’avis. Mais non.
“Tiens... du café... “ Une grosse fille, légèrement frisée, à la peau marquée, lui tendit un gobelet plein à ras bords. “Comme tu l’aimes.”
Il porta le gobelet jusqu’à ses lèvres déjà prêtes en cul de poule. Et il but en fermant les yeux à demi. Par-dessus le bord du gobelet, il vit la fille le regarder fixement.
Alors, il avança sa main libre devant lui, et il attendit qu’elle la saisisse.
D'où il vient...où il va...il est là et il me serre le coeur...
RépondreSupprimerL'image de la femme avec fourmi me fait penser à Bunuel. Elle va bien avec la valise en peau de porc et la détestation des mains.
RépondreSupprimerJe m'interroge sur cette femme manifestement inconnue et qui pourtant le tutoie et sait comment il aime son café, ou alors est-ce un monologue intérieur ? Il y a un mystère sous jacent dans ce texte, dû aux deux personnages que rencontre cet homme et - dans une moindre mesure - à l'élan de tendresse qu'il éprouve pour le femme endormie. J'aime beaucoup la symbolique de la chute et toute l'attente qui est contenue dans un seul geste. Va-t-elle lui prendre la main ?
RépondreSupprimer« Avant le départ » , une petite nouvelle se dessine . Elle a la forme et le style d'un polar avec un suspense latent; Elle est construite pour titiller l'imaginaire du lecteur qui doit compléter ce qui , délibérément, est non dit. FP nous projette dans une situation extrême, une attente contrainte dans un aéroport ou une évacuation d'urgence comme cela se produit, parfois en Afrique ou ailleurs. Nous sommes dans un pays chaud. Les protagonistes ne se connaissent pas et sont chacun confrontés à l'écroulement de leurs projets, ils sont en attente , « en stand- by » laissés à eux mêmes, en état d'abrutissement et d'abandon. C'est un instant de bilan forcé sur soi même, sur les regards portés par les autres. Le temps est suspendu, il n'y a pas de futur très immédiat où se projeter. FP. a, bougrement, le sens de la fragilité des états et des instants arrêtes. Cette situation crée des moments insolites dans la vie des gens, un désordre où naissent des sollicitudes inhabituelles . L'homme a un élan pour l'inconnue effondrée , vautrée, dans son sommeil. Un jeune homme lui préte aide et assistance, il le rejette, soucieux d' autonomie,affirmée à lui même, autant que de tranquillité. Il observe, ses mains désœuvrées puis se réfugie dans un demi sommeil. Une femme lui offre un café, ces deux là se connaissent, il a un geste d'abandon, une demande de protection. Est ce l'inconnue du début ? Peut être, si c'est elle , elle était inconnue parce qu'elle était dans une posture si inhabituelle qu'il ne la reconnaissait pas ou il était, lui, dans un état d'absence. Sinon, il s'agit d'un quatrième protagoniste. Ne demandez pas les réponses à FP , il ne vous les donnera pas, non pas par goût du mystère mais parc que cela n'a nulle importance. Il décrit les êtes de l'intérieur d'eux mêmes,révélés par le circonstanciel. Il ne nous parle que de cela, libre à nous de vagabonder.
RépondreSupprimerD'abord pensé qu'on l'emmenait en maison de retraite ... puis avec le tarmac j'ai saisi ... le parent proche qui revient avec du café donne toute sa réalité à la fragmentation du temps, comme les lumières tranchées par l'avion etc ... du vif. Et le soleil qui te connait bien. Luisant texte.
RépondreSupprimertoujours l'éblouissement qui traverse votre écriture et la scèneaime beaucoup
RépondreSupprimerOuaips !... J'l'aime bien ç'uila... Beau conte sur la vieillesse... Je le vois bien le bonhomme vu que je suis dans le couloir et mate le manège.(non, je n'ai pas des grosses gencives ;o)
RépondreSupprimerJ'aime bien les nouvelles (surtout bonnes)
RépondreSupprimerWow ! j'ai de la lecture à rattraper sur votre blog, Pittau. Ca va me prendre des siècles je sens.Ce qui m'intéresse dans ce texte, ce sont les interactions entre le personnage, son corps et "les autres". Il se redresse à demi et s'affale, puis cligne des yeux, et c'est l'interaction avec le jeune homme qui prend une partie de son sens. (Dites, quatre fois "jeune homme" en quelques lignes seulement, je vais finir par croire que vous les aimez ma parole !)L'inconnue endormie qu'il a envie d'étreindre est une femme. Grasse. Celle qui lui tend un café est une fille. Grosse. Ça donne presque envie d'imaginer qu'il est en compagnie de sa fille, et que cette inconnue correspondant à un goût pour les femmes rondes, en étant anonyme et endormie, l'autorise à désirer la serrer.Très intéressant aussi, les mains. Ce geste loyal et passif... j'adore tout ce qu'il peut raconter.
RépondreSupprimereuh... Verroust ? D'où vous sortez que c'est gaulé comme un polar ? Faut retourner aux gommettes à la cerise, hein ! C'est trop violent pour vous celles au coca.
RépondreSupprimerADS: FP , je le vois plus bourbon que coca et gominettes. Quant à moi, un calva d'un bouilleur de cru clandestin ou un raki sec me conviennent tout à fait . Merci d'avance!
RépondreSupprimer@Verroust : je sonne la bonne, prenez un siège.
RépondreSupprimerADS:Juste sur le pouce, une lampée, cul sec!
RépondreSupprimer@Brigitte. Je suis ravi de vous voir ici. :)@Dominique Boudou. Oh mais Bunuel, je prends, même si je n'y avais pas du tout pensé.@FM. Peut-être pour la femme inconnue. :)Et pour ce qui concerne le mystère...@patrick Verroust. Je vais pas commenter votre commentaire, ce serait trop long mais j' lis les vôtres avec attention à chaque fois.@Kouki. Une maison de retraite ? Oui, pourquoi pas. En même temps la retraite à son âge. Encore que.@Mu LM. Merci.@Luc. T'es dans l' couloir ? Merde, t'as été condamné ? Y a longtemps ? @Melle d'Enfert. J'aime bien toutes les nouvelles, surtout les fraîches.@AdS. Rattrapez, rattrapez, y finira bien par en rester quelque chose. Le "jeune homme" ? Mouais... vous croyez vraiment que ça m'a échappé ces répétitions ?@AdS et Verroust. J' vous apporte des p'tits gâteaux et des numéros de Closer au cas où la conversation languirait.
RépondreSupprimer@Pittau : apportez plutôt des gros gâteaux et des numéros du Matricule des anges.
RépondreSupprimerOn fait ce qu'on peut pour la fraîcheur... les mois sont des secondes par chez moi...
RépondreSupprimer@AdS. Des chocos BN, ça ira ? @Mlle d'Enfert. J'en suis certain.
RépondreSupprimerMais... mon commentaire a disparu? ... Des choses grossières? intolérables? Cela m'étonne. Ma connexion peut-être? Possible... Je suis navré, ce texte ne pouvant me laisser indifférent comme vous vous en doutez. (Où ai-je fichu mes notes "Pittau"?! Nom de nom!!)
RépondreSupprimer@Depluloin. Votre commentaire a disparu ? Y a dû y avoir un bug quelconque... je vous aurais pas censuré même en cas de grossièretés... même en cas d'obscénités... (qui ne sont pas votre genre en plus)...Remettez-le si vous en avez une copie.Moi, je l'ai même pas vu passer.
RépondreSupprimerMagnifique plan-séquence où, dès la première image, on se surprend à se redresser pour asseoir le mouvement dans notre propre fondement. On passe alors dans la tête de l'homme et c'est dans son regard, sensations à fleur de paupières, que se joue pour nous toute la scène.
RépondreSupprimerDites, Sofkhalo ne peut pas laisser de commentaire chez vous c'est quoi ce merdier ?
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