Il avait mal au dos. Il se massa les paupières avec le gras de la paume puis il tourna la tête vers la droite. Malgré la pénombre, il aperçut quelques corps étendus ça et là sur des fauteuils, sur le canapé en cuir clair et jusque sur le tapis uni qui devait être rouge sang de bœuf à la lumière du jour. Lui, il était assis par terre, le dos soutenu par un gros coussin dur.
Prenant appui sur sa main droite, puis sur le genou droit, il se mit debout.
“Ooooh... bon sang, j’ suis...” et il eut un geste d’équilibriste, écartant les bras pour ne pas tomber comme s’il était sur un fil tendu.
Il ferma les yeux durant un bref instant. Une odeur de transpiration séchée l’envahit soudain. Retenant sa respiration, il s’élança, louvoyant entre les corps étalés et les chaises renversées, et fila droit vers ce qui semblait être une cuisine.
C’était une cuisine. Les meubles en stratifié blanc avaient une fraîcheur d’hôpital.
Les rideaux étaient grands ouverts sur une aube grailleuse. On apercevait les surfaces pâles des tours d’habitation qui se perdaient au loin.
Il flageolait. Il s’appuya sur la petite table coincée entre le frigidaire et l’évier. Ensuite, il tira à lui le tabouret qui se trouvait sous la table, et il s’assit dessus.
“Muriel...” pensa-t-il tout à coup. Il se rappelait l’avoir vue assise, seule, dans cette petite salle grignotée par le vacarme et la fumée ; il se rappelait l’avoir embrassée avidement, comme un assoiffé ; il se rappelait l’avoir bue...
Une envie de pleurer lui meurtrissait la gorge. Muriel ne se trouvait pas parmi les gens endormis. Il l’aurait reconnue. Là, il n’avait reconnu personne. Hormis la petite rousse à la chevelure ébouriffée rencontrée dans il ne savait quel boui-boui jaune et noir.
“Bonjour...”
Il leva la tête. Une femme mince et brune venait d’entrer dans la cuisine, le cheveu fatigué et la bouche grasse. “Putain, t’es un lève-tôt, toi...” dit-elle en lui passant la main sur la nuque comme si c’était une habitude.
“Quelle fiesta ! me suis marrée comme une baleine !... Rarement autant bu !”
Comme il ne répondait pas, elle dit encore : “ Tu fais la gueule ? Tu veux que j’ te foute la paix, Isidore ?”
“Je m’appelle pas Isidore...” marmonna-t-il.
“Je l’ sais que tu t’appelles pas Isidore !” et elle partit d’un petit rire catarrheux, avant de poursuivre : “Tous ceux que je connais pas, j’ les appelle Isidore. En plus, à toi, ça va bien de t’appeler Isidore. Tu fumes ? T’as une clope ? Les miennes sont dans l’ bordel du salon... pour les retrouver, ça va être une épopée...”
Il ne fumait pas.
“Tant pis... j’ vais faire du café... T’en veux ?”
Non, il n’en voulait pas de son café, il voulait juste qu’elle se taise ; une bouffée de colère s’empara de lui et il s’entendit grommeler : “Ferme ta gueule, sac à merde !” Se levant brusquement, il partit droit devant lui (bousculant au passage la femme brune qui lâcha un petit cri de surprise), ouvrit une porte (une salle de bain) qu’il referma aussitôt, poussa une autre porte (une chambre d’enfant), et c’est derrière la troisième porte qu’il découvrit un palier étroit avec trois entrées d’appartement. Sans un regard pour l’ascenseur, il se précipita dans l’escalier métallique en colimaçon. Il courut, manqua rater une marche, sa main glissant sur la rampe. Il entendit qu’on gueulait là-haut. Il poursuivit sa course et arriva sur le petit hall d’entrée. Il s’arrêta d’un bloc.
Un silence parfait engourdissait l’immeuble. Il sentait son cœur battre dans ses yeux. Durant toute la descente, il avait suspendu son souffle. Il se remit à respirer.
Le froid était grinçant sur ses épaules.
Il se retourna. Le haut des immeubles commençait tout doucement à être éclairé par le soleil. Il n’avait qu’une chemise sur le dos. Sa veste en cuir, il l’avait laissée dans l’appartement. Il marchait serré. Un grelottement lui monta de l’intérieur. Après avoir dépassé les dernières haies qui bouclaient la Cité, il murmura avec un demi-sourire : “Muriel...”
Et il eut comme une morsure au ventre.
Prenant appui sur sa main droite, puis sur le genou droit, il se mit debout.
“Ooooh... bon sang, j’ suis...” et il eut un geste d’équilibriste, écartant les bras pour ne pas tomber comme s’il était sur un fil tendu.
Il ferma les yeux durant un bref instant. Une odeur de transpiration séchée l’envahit soudain. Retenant sa respiration, il s’élança, louvoyant entre les corps étalés et les chaises renversées, et fila droit vers ce qui semblait être une cuisine.
C’était une cuisine. Les meubles en stratifié blanc avaient une fraîcheur d’hôpital.
Les rideaux étaient grands ouverts sur une aube grailleuse. On apercevait les surfaces pâles des tours d’habitation qui se perdaient au loin.
Il flageolait. Il s’appuya sur la petite table coincée entre le frigidaire et l’évier. Ensuite, il tira à lui le tabouret qui se trouvait sous la table, et il s’assit dessus.
“Muriel...” pensa-t-il tout à coup. Il se rappelait l’avoir vue assise, seule, dans cette petite salle grignotée par le vacarme et la fumée ; il se rappelait l’avoir embrassée avidement, comme un assoiffé ; il se rappelait l’avoir bue...
Une envie de pleurer lui meurtrissait la gorge. Muriel ne se trouvait pas parmi les gens endormis. Il l’aurait reconnue. Là, il n’avait reconnu personne. Hormis la petite rousse à la chevelure ébouriffée rencontrée dans il ne savait quel boui-boui jaune et noir.
“Bonjour...”
Il leva la tête. Une femme mince et brune venait d’entrer dans la cuisine, le cheveu fatigué et la bouche grasse. “Putain, t’es un lève-tôt, toi...” dit-elle en lui passant la main sur la nuque comme si c’était une habitude.
“Quelle fiesta ! me suis marrée comme une baleine !... Rarement autant bu !”
Comme il ne répondait pas, elle dit encore : “ Tu fais la gueule ? Tu veux que j’ te foute la paix, Isidore ?”
“Je m’appelle pas Isidore...” marmonna-t-il.
“Je l’ sais que tu t’appelles pas Isidore !” et elle partit d’un petit rire catarrheux, avant de poursuivre : “Tous ceux que je connais pas, j’ les appelle Isidore. En plus, à toi, ça va bien de t’appeler Isidore. Tu fumes ? T’as une clope ? Les miennes sont dans l’ bordel du salon... pour les retrouver, ça va être une épopée...”
Il ne fumait pas.
“Tant pis... j’ vais faire du café... T’en veux ?”
Non, il n’en voulait pas de son café, il voulait juste qu’elle se taise ; une bouffée de colère s’empara de lui et il s’entendit grommeler : “Ferme ta gueule, sac à merde !” Se levant brusquement, il partit droit devant lui (bousculant au passage la femme brune qui lâcha un petit cri de surprise), ouvrit une porte (une salle de bain) qu’il referma aussitôt, poussa une autre porte (une chambre d’enfant), et c’est derrière la troisième porte qu’il découvrit un palier étroit avec trois entrées d’appartement. Sans un regard pour l’ascenseur, il se précipita dans l’escalier métallique en colimaçon. Il courut, manqua rater une marche, sa main glissant sur la rampe. Il entendit qu’on gueulait là-haut. Il poursuivit sa course et arriva sur le petit hall d’entrée. Il s’arrêta d’un bloc.
Un silence parfait engourdissait l’immeuble. Il sentait son cœur battre dans ses yeux. Durant toute la descente, il avait suspendu son souffle. Il se remit à respirer.
Le froid était grinçant sur ses épaules.
Il se retourna. Le haut des immeubles commençait tout doucement à être éclairé par le soleil. Il n’avait qu’une chemise sur le dos. Sa veste en cuir, il l’avait laissée dans l’appartement. Il marchait serré. Un grelottement lui monta de l’intérieur. Après avoir dépassé les dernières haies qui bouclaient la Cité, il murmura avec un demi-sourire : “Muriel...”
Et il eut comme une morsure au ventre.
Fallet pas bouffer de flageolet René... Je sais, il ne s'appelle pas René non plus.
RépondreSupprimerQu'est ce qu'il a bien pu faire pour que Muriel disparaisse de la sorte ? Un truc ou deux avec la petite rousse ébouriffée ? Dommage, il a raté le coche. Et il le sait dans ce petit matin puant.
RépondreSupprimerUn texte autobiographique enfin!
RépondreSupprimerDu vécu en tout cas.
(Mais non, Frédérique! Muriel, c'est la grande brune qui... :)
Très agréable à lire comme nouvelle, c'est frais !
RépondreSupprimerOù a disparu la belle Muriel ? En tous cas elle lui manque, ça se sent dans le texte, belle émotion en perspective...
C'est le temps d'un retour...
RépondreSupprimerou l'année dernière à Cuisinbad...
RépondreSupprimer@Luc. T'as pété un câble ?
RépondreSupprimer@FM. Si seulement, je l' savais, je vous l' dirais.
@Depluloin. Un texte autobiographique ? Non. Pas du tout. D'abord, je bois pas, ensuite j'aime pas les appartements.
@Fill. Bonjour... et bienvenue... :)
@Harmonia. Le temps d'un retour ou d'un détour. Cuisinbad, ça m'a fait rire, ça... :D
Dire que Muriel s'est endormie dans la buanderie...
RépondreSupprimerRhâ, la vie.
:0)
(Superbe, ce texte se lit d'un trait comme une vodka.)
Petit matin glauque dans un espace urbain. Un homme,gueule de bois sévère, mal aux cheveux , se réveille parmi l'amoncellement de dormeurs qui gisent là où l'orgie les a saisis.Il dégage de là pour se réfugier dans la cuisine où il se souvient, soudain, d'avoir rencontré, une Muriel, l'avoir embrassée, « bue ». Cette femme devient son phare, son amer où il aimerait se raccrocher. Il n'assume pas sa nuit, la fête et tout ce qui s'y rattache le dégoutent.Il refuse tout contact,tout souvenir hormis celui de Muriel. L'homme veut se retrouver, il ne tolère aucune complicité, aucune ingérence, il en est violent « ferme ta gueule,sac à merde » . Il est saisi de l'urgence de partir de fuir, il a besoin de silence « qu'elle se taise ».
RépondreSupprimerL'appartement est un lieu en lisière de la cité, il semble un lieu de nulle part, son décor, les corps vautrés,la cuisine « à la fraicheur d'hôpital » disent une partie des pensées du héros. Ce procédé narratif est fort chez Francisco Pittau. Le texte dégage un malaise, j'y erre comme dans un écrit de Butor,l'univers décrit vient imprégné le mien . Ce n'est pas un texte de « distraction » mais plutôt un texte qui fait dériver. « Les meubles ,stratifiés blancs, » participent de cette impression clinique.Le personnage parcourt un itinéraire de rédemption. Il s'éveille dans le lieu de l'action, de l'oubli de lui même, trouve refuge dans le lieu de la révélation, de la consommation païenne,avide,essentielle.Il s'échappe, découvre la salle de bains, lieu de purification,la chambre d'enfant, lieu de projet, d'amour,de stabilité,d’engagement. Sur le palier , il est confronté à trois portes « enfer, purgatoir, paradis », toutes trois fermées,étrangéres. Il dégringole l'escalier de ce glauque parnasse. « Il se remit à respirer un silence parfait engourdissait l'immeuble ». Malgré le froid, transi, il fuit, « marche serré » , métaphore parlante. Une des clefs de l'univers de l'auteur se découvre , peut être ici. Ces personnages fuient, souvent, poussés par une impérieuse nécessité, ils endurent des souffrances, se raccrochent à une petite lumière intérieure, très personnelle . Ici, l'homme se fuit , lui et cette orgie nocturne . Il murmura,avec un demi-sourire « Muriel » et « il eut comme une morsure au ventre ». L'amour peut être plus animal, mordre plus fort qu'un rut bestial.
une chanson dans la tête à la fin de ma lecture : "je veux cette fille, cette fille qu'était avec moi... je veux cette fille ... trouvez la moi"
RépondreSupprimerMoi, j'aurais dit oui au café...
RépondreSupprimerJ'aime cette expression : le "rouge sang de bœuf" du tapis.
RépondreSupprimerC'est une nuit qui a saigné :)
Et puis dans le même champ sémantique, l'aube "grailleuse" et le rire "catarrheux"...
La bouche "grasse" aussi, si on tire "grailleux", plutôt du côté des graillons, des déchets, des restes malodorants d'une nuit de folie :)
Heureusement Muriel, la mue, le rire et le miel...
toujours se méfier des Muriel (avec ou sans e) on sait pas où elles filent (laissent les pauvres petites choses d'isidore en plan ;)
RépondreSupprimerah ouais j'ai bien aimé (pour toutes les odeurs et humeurs, ça sentait vraiment les lendemains de fête (?)
RépondreSupprimer@SophieK. (ben merci mais tu veux dire que ce texte te saoûle ?) J' vais faire donner la sirène !!! :D
RépondreSupprimer@patrick Verroust. Oui. Mais bon.
@K.role. Pas faux qu'il y a de ça. :)
@Nicolas Bleusher. Peut-être qu'il n'aime que le thé... on sait pas.
@Michèle. Un œil d'aigle, comme d'habitude.
@muriele (again). Ben, merci... :)
Au filigrane "des mots'" je vous respire"'tant votre écriture est "belle"quel talent, parfois j'ai l'impression que vous venez de loin .Merci c'est magnifique.SATINE
RépondreSupprimer@SATINE. Merci à vous de me lire.
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