Myriam s’était approchée à pas lents, voûtée, les épaules ramassées, le bras mi-dressé, prête à frapper. A une enjambée de sa proie, un léger soupir lui avait échappé mais elle s’était vite reprise, bloquant sa respiration pour couvrir les derniers centimètres.
“Salopard, tu vas payer !”
Et sa main s’était abattue, assénant un coup si violent que la douleur vrilla son bras jusqu’à l’épaule. Mais elle avait autre chose à faire que de penser à la douleur. “Merde !” grogna-t-elle en avançant le nez sur la petite tache de sang vif qui maculait le papier peint crème. “Il péterait de colère s’il voyait ça. J’aurais dû l’écrabouiller en douceur.”
A l’aide d’un morceau d’essuie-tout, elle préleva ce qui restait du moustique, et elle nettoya tant bien que mal la tache de sang. L’étalant comme un brouillard rosâtre.
“Ah, tu es là ! dit sa mère en entrant dans la cuisine. J’ai cru que tu étais sortie. J’ai préparé les sandwiches. Assez pour nourrir l’Afrique entière. Je suis vannée.”
“Désolée, maman, j’ai dû régler son compte à une saloperie de suceur de sang, dit Myriam d’une voix allègre. Je l’ai poursuivi pendant au moins une demi-heure. Il m’a fait suer ! mais j’ai fini par l’avoir... Sarah, tu sais bien... Et avec tout le mal que je me suis donné pour cette fête d’anniversaire !”
Sa mère eut un grommelot préoccupé, elle fouillait du regard tout autour d’elle. Soudain, elle avisa un sachet en papier brun posé par terre, entre le placard et le frigo. Elle se baissa et ramassa le sachet, duquel s’échappèrent des cliquètements de bouteilles.
“Myriam, elles sont tièdes ces bouteilles ! Du mousseux tiède, c’est imbuvable.“
“J’ai oublié...” répondit Myriam, distraite.
Le moustique l’avait piquée sur le côté de la main, dans le gras. Ça tiraillait un peu.
“Putain d’insecte !”
Myriam alla jusqu’à l’évier, tourna le robinet et fit couler de l’eau froide sur l’endroit de la piqûre. Un soupir soudain la traversa. Et elle resta ainsi, un long moment, figée, la main sous le bec du robinet.
Par la fenêtre, elle vit la pelouse négligée, et Sarah qui s’esclaffait avec Léa, sa copine depuis qu’elle était toute petite. Une peste, cette Léa. Exactement comme sa mère, qui avait des seins énormes et une bouche d’avaleuse. Myriam sentit le pincement à l’aine se réveiller.
“Alors, tu viens ? Les invités seront là et tu n’auras rien vu. Vérifie, on ne sait jamais.”
Myriam eut un léger sursaut. Sa mère la scrutait de ses yeux gris clair.
“J’arrive.” dit Myriam d’une voix enfouie. Elle coupa le robinet puis elle se sécha la main, avant de gagner le salon à son tour.
“Bon sang, c’est magnifique, maman ! Ça ruisselle de couleurs ! Ça va être merveilleux !” s’exclama Myriam en voyant les guirlandes pailletées, les étoiles en papier doré, les festons torsadés, les petits chevaux tachetés... Il y avait même une espèce de calicot tendu d’un mur à l’autre qui disait en lettres versicolores “JOYEUX ANNIVERSAIRE SARAH !”
Myriam n’en revenait pas de toute cette splendeur. “C’est tellement beau, maman ! Merci ! Oh, je ne sais pas comment te remercier !”
Sa mère marmonna qu’elle s’était débrouillée comme elle pouvait mais que Sarah lui avait donné un joli coup de main. Que Sarah devenait grande et qu’elle ferait sûrement une femme accomplie et sérieuse. Et que c’était, pour elle, une énorme satisfaction.
“Oh, maman, il y a une guirlande mal accrochée, dit Myriam en expirant. Ça ne peut pas rester comme ça... Les invités le verront et ils ne verront plus que ça. Il faut faire quelque chose. Je vais arranger ça tout de suite.”
Elle se hissa sur une chaise et tripota la punaise jusqu’à ce qu’elle soit bien enfoncée. Puis elle descendit de la chaise, recula et dit que tout était parfait. Par-fait ! Bon Dieu, qu’elle était heureuse ! Sarah se souviendrait longtemps du jour de ses quinze ans.
Le tiraillement dû à la piqûre du moustique s’était estompé. Il n’en subsistait qu’un bourdonnement sourd qu’elle préféra ignorer.
C'est bien très bien, parfait, magnifique (je fais gaffe, j'ai déjà plus de crédit aujourd'hui !)!!!Voilà encore une bien innocente Cendrillon ... à la re lecture!
RépondreSupprimerMoi aussi souvent j'ai des grommelots préoccupés... :)Joli.
RépondreSupprimerMmmh... Me méfie des bourdonnements sourds, moi. Et me méfie des fêtes parfaites... Y'a anguille sous moustique.;0)
RépondreSupprimerMmmmm! Que c'est beau, ce mouvement de la plume qui observe et décrit tous les moments d'une fête pleine de grommelots préoccupés, comme il arrive souvent de les avoir à 15 ans...et souvent comme maman...:-)
RépondreSupprimerEt le chikungunya riait dans sa moustache, se disant que ce n'était guère prudent de tripoter les punaises.Happy Birthday, Sarah !
RépondreSupprimerElle marmonna quelques grummelots inaudibles..."...Ha... Ta gueule !!!" Fut ma réponse.
RépondreSupprimerÇa commence comme du grand Hith' et se termine en grand Pittau!! (Persuadé que j'ai été tout au long de l'imminence d'une chute sanglante!! C'est fait pour, ou...?
RépondreSupprimer@Kouki. Quelle sincérité ! Quel enthousiasme ! :)@Ch. Sanchez. Eh ben, on croit faire de la fiction et on retombe dans la réalité.@SophieK. Sans doute.@Danièle Boulard. Bienvenue et merci d'être passée.@Moons. Le moustique a piqué.@Vinosse. Ça t' f'rait mal au cul d'être poli. :D@Depluloin. C'est fait pour. L'essentiel a lieu avant. Enfin, j' crois. :)
RépondreSupprimer"Le tiraillement dû à la piqûre du moustique s’était estompé. Il n’en subsistait qu’un bourdonnement sourd qu’elle préféra ignorer."Oui, on l'entend encore, ce bourdonnement sourd, même si, comme d'habitude, on préfère l'ignorer.
RépondreSupprimer@Chr. Ouais. Du physique conceptualisé. :))
RépondreSupprimerDu grand art. Et comment un homme peut savoir tout ça, s'il est pas lui-même une femme... ousque peut-être, il n'y a aucune différence...entre un homme et une femme... :)
RépondreSupprimer@Michèle. Merci et j' veux bien admettre que j'ai une part de féminité. Ça ne me gêne pas du tout.
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