dimanche 21 juin 2015

La chanson de Samuel

Sa femme avait franchi
le goulet des douleurs
en chantant tout son saoul
comme un samedi soir

Elle avait trop hurlé
qu’elle n’avait pas peur
en serrant sur son cœur
l’oreiller malmené

Dans la nuit elle avait
appelé de là-bas :
«Sois tranquille mon homme
ici je suis au poil
tout le monde sourit
je mange comme une ourse
je bois jusqu’à plus soif
et je dors quand je veux»

Oh mon dieu comme s’efface
le sourire dans la glace

Sa fille avait perdu
son cœur dans un jardin
qu’elle arpentait la nuit
un joker dans les yeux
sur sa bouche un Noël
couronné par la neige
sur ses cheveux la bise
plus froide qu’une étoile

Elle naviguait là-haut
sur son bateau de plumes
en repoussant les anges
qui attaquaient la proue
Maintenant elle avait
un jardin sans limite
où reposer son âme
et sa fleur ravagée

Oh mon dieu comme s’efface
le sourire dans la glace

Son fils était couché
sur les sables brûlants
son fils était couché
sous le soleil malin
mais il ne rêvait plus
de conquête et de sang
de villes effondrées
dans un souffle rageur

Il dormait dans les dunes
ses vieux habits cramés
lui collaient à la peau
son rire était trop large
il traversait des songes
il évitait le vent
comme l’oiseau qui fuit
les figures d’hiver

Oh mon dieu comme s’efface
le sourire dans la glace

Son chien n’était plus là
couché sur ses pieds bleus
à réchauffer son sang
quand la tempête gronde
Son chien n’était plus là
pour pister les fantômes
et les esprits mauvais
qui rôdent dans les chambres

Il longeait des ravins
il fréquentait des gouffres
des forêts incendiées
et des bosquets puants
il poursuivait les ombres
qui sont sur la prairie
comme des cœurs battus
par la gifle éternelle

Oh mon dieu comme s’efface
le sourire dans la glace

4 commentaires:

  1. Voilà un chant primitif que pourrait s'approprier un chanteur accompagné de musiciens. Ici, Francesco se fait poète obstétricien. Il fait accoucher une femme de ses deuils, les pertes tragiques de sa fille tuée par 'un obsédé et de son fils mort à la guerre. Elle trouve encore le courage , dans une strophe splendide au langage imagée de rassurer son homme . Le chien est parti "poursuivre des ombres", il lui reste l'oreiller malmené , exutoire à douleurs insurmontables. Elle rejoindra , bientôt, ses enfants. Notre sourire s'efface, il nous reste l'admiration devant la puissance de ce poème pour nous raccrocher à l'espoir d'en avoir un autre à découvrir....

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    1. Non, m'sieur Verroust, personne n'accouche de ses deuils, puisque c'est un homme qui parle, comme l'indique le titre. :)
      Petite distraction.

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  2. La Grande Ourse traquée par les chasseurs, étoile qui ne se couche jamais. Qui veille sur les siens et ne perd pas le nord...

    Bouleversée par ce poème tellement fort, tellement grand...

    Michèle Pambrun

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  3. ... et terrible refrain de la chanson de Samuel

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