lundi 1 octobre 2012

La croisée

La lourde tresse de cheveux
Sombres dormait dans
Le tiroir entre des
Dentelles raidies des pièces
De monnaie sans valeur des sachets
D’herbes sèches et de petits
Flacons de parfum enrubannés
Dont l’haleine embaumait
Encore

Par la fenêtre ouverte
Elle apercevait des grues des toits
De tuiles noires et luisantes
Des cheminées des nuages et
Dans le lointain un frémissement
Bleuâtre comme une esquisse
Des mers et des montagnes
Jamais atteintes

Elle remâchait ses jours
Eparpillés elle remâchait
La chair blette de ses heures
La fressure amère de ses
Souvenirs elle remâchait les
Silences les tintements des
Cuillers au fond de l’assiette
Et les efforts pour ne pas
Lever le nez quand fusait la colère

D’une main encore vive elle
Eloigna l’insecte mordoré
Qui se traînait sur l’orange
De plâtre peint
(un fil de soleil allumait
les veines du fruitier
fendillé)
Ses doigts se mêlèrent
Aux cheveux allongés comme
La carpe jetée sur la berge
Et sa poitrine se vida
D’un ultime soupir qui s’échappa
Dense et léger tel une bouffée
De vapeur en hiver

12 commentaires:

  1. "fressure" c'était un mot que je ne connaissais pas... tout de suite ça prend aux tripes :)et pourtant tout ça finit dans un soupir léger (?)...c'est très beau

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  2. Magnifiquement ciselé...Les deux derniers vers disent tout.

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  3. De ce petit opus de Francesco Pittau surgit un vertige.La respiration du texte mène à bout de souffle, comme un asthme d'effort. Les souvenirs remontent comme des glaires, encombrent la bouche , la gorge, la « fressure » des poumons . Les objets , précieusement gardés, se muent en d'inutiles et inefficaces talismans. Au lointain « un frémissement bleuâtre »suggère les projets de vie inaboutis.Une vie dégorge son amertume, la soumission subie, les silences qui s'imposaient, la tête baissée « quand fusait la colère »...La vie, l'amour de la vie se manifestent par un « insecte mordoré » « un rai de lumière » sur un fruitier en plâtre . Une dernière contraction « Ses doigts se mêlèrent aux cheveux allongés comme la carpe jetée sur la berge ….La poitrine se vida...tel une bouffée de vapeur en hiver »....Difficile de lire sans se sentir pâteux, petit et misérable .Comme à son habitude, Francesco ne laisse pas respirer le lecteur , il le convoque, réussit à lui faire ressentir en ses chairs les affres des personnages dont il décrit les souffrances et les angoisses, lui met le nez dans la brouillasse épaisse de l'existence....Pittau est un sacré tatoueur d'humains dans le malheur , il écrit leurs histoires à fleur de nos peaux.Elles s'y gravent....

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  4. Tatoueur, dites-vous ? Ça ferait plaisir à quelqu'un de mon entourage, ça...

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  5. :DLes quatre dernières lignes, voulais-je dire. C'est presque un haiku.(Enfin bon, j'me comprends, hahahaha !)

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